Circé a fait pas mal de bruit à sa sortie et j'avais très envie de voir ce qu'il donnait. Le fait qu'il soit dans les recommandations de ce mois-ci pour le challenge SFFF 2022 m'a poussé à le sortir de la PAL où il se trouve depuis décembre.
Circé, Madeline Miller
Editeur : Pocket
Collection :
Année de parution : 2019
Titre en VO : Circe
Année de parution en VO : 2018
Nombre de pages : 549
A lire si
- Vous aimez les réécritures de mythe
- Vous voulez une vision féminine de Circé
A ne pas lire si :
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Présentation de l'éditeur :
Helios, dieu du soleil, a une fille : Circé. Elle ne possède ni les pouvoirs exceptionnels de son père, ni le charme envoûtant de sa mère mais elle se découvre pourtant un don : la sorcellerie, les poisons et la capacité à transformer ses ennemis en créatures monstrueuses. Peu à peu, même les dieux la redoutent.
Son père lui ordonne de s'exiler sur une île déserte sur laquelle elle développe des rites occultes et croisent tous les personnages importants de la mythologie : le minotaure, Icare, Medée et Ulysse....
Mais cette existence de femme indépendante et dangereuse inquiète les dieux et effraie les hommes. Pour sauver ce qu'elle a de plus cher à ses yeux, Circé doit choisir entre ces deux mondes : les dieux dont elle descend, les mortels qu'elle a appris à aimer.
Mon avis
Comme je le disais, Circé a beaucoup fait parler de lui. Il s'est rapidement vu coller une étiquette de livre féministe, puisqu'il dépend la vie d'une sorcière et qu'en plus de cela, il est écrit par une femme. Ce sont de très bons arguments, on ne va pas se mentir. Surtout que jusqu'à maintenant, aucune femme n'avait repris le mythe de Circé. On ne connait la magicien qu'à travers des yeux masculins (exception faite, il me semble, d'un poème de Margaret Atwood) et surtout qu'à travers le mythe d'Ulysse où elle n'est pas vraiment mise à son avantage. Il était donc temps qu'elle devienne héroine de sa propre histoire.
Une histoire plutôt banale en fait niveau mythologie grecque. Circé est née des amours d'Hélios et d'une nymphe, plus précisément d'une Océanide, Persé. Elle est l'ainé des enfants que son père aura avec sa mère, à savoir Persés, Pasiphaé et Æetes. Si ses frères et sœur semblent bien avoir des pouvoirs quelconques, Circé, elle ressemble plus à une humaine. D'ailleurs, elle en a la voix. Dénigrée, elle grandit un peu à l'écart jusqu'à sa rencontre avec Prométhée. Une rencontre qui sera déterminante pour elle. Puis, un jour, folle de jalousie de se voir ravie l'homme qu'elle pense aimer par Scylla, elle va enfin développer ses pouvoirs de sorciers et transformer la nymphe en monstre. A partir de là, elle est bannie sur Æeae où va vraiment commencer sa vie. A travers Circé, nous allons redécouvrir plusieurs mythes. Celui du Minotaure, fils de sa sœur Pasiphaé, où nous découvrirons Dédale et Ariane, celui de Scylla, bien entendu, on verra aussi Médée, la fille d'Æetes et Jason et bien entendu, puisqu'il faut en passer par là, Ulysse. Chacun d'eux va la faire grandir et réfléchir à son statue, que se soit celui de femme ou celui de sorcière (surtout que les deux sont liées).
A vrai dire, j'ai beaucoup aimé le roman jusqu'à ce qu'arrive Ulysse dans la vie de Circé, soit à peu prés à la moitié de celui-ci. Jusqu'à là, la sorcière réussit à faire ses propres choix, même quand elle se retrouve obligée de retrouver sa sœur pour la faire accouchée du Minotaure. Un passage fort appréciable d'ailleurs que celui-ci. Pasiphaé a bien compris comment fonctionne le monde, à l'inverse de sa sœur (faut dire qu'elle n'est pas exilée seule sur une île aussi). De part sa nature divine et ses pouvoirs de sorcières, la reine de Crète a pris les rênes, fait comprendre à son époux qui porte la culotte (elle a fait en sorte qu'il tue ses maitresses pendant l'acte…) et se permet de mener la vie qu'elle entend malgré son mariage arrangé. La preuve, elle donne bien naissance au Minotaure et le garde alors même qu'il s'agit d'un monstre. Si les méthodes de Pasiphaé sont discutables, elle n'en est pas moins lucide sur son sort et sur la manière dont elle peut prendre le contrôle. Circé n'approuve pas la méthode, sa sœur étant bien cruelle avec son entourage, mais elle entrevoit la manière dont elle peut vivre sa vie loin de son père et des hommes. Sa rencontre avec Médée nous prouve alors qu'elle a assimilé sa place de sorcière, mais aussi, et surtout, la peur que les hommes éprouvent contre elle. Circé est puissante, tout comme l'est Médée. Dangereuse, les hommes vont tout faire pour les mettre dans les rangs et si elles ne s'y plient pas, c'est la mise à l'écart, la chasse aux sorcières et tout ce qui va avec (en gros, dans la mythologie, Médée tue et ensorcèle pas mal de monde pour les beaux yeux de Jason qui finira par la répudier pour en épouser une autre. Elle retournera auprès de son père par la suite, on ne sait pas trop comment elle finit sa vie).
Et puis arrive Ulysse. Dans les mythes, lorsqu'Ulysse débarque avec ses hommes, elle transforme l'équipage en cochon mais, leur capitaine, aidé par Hermès, déjoue ses plans et la menace. Pour sauver sa peau, elle accepte de coucher avec lui et de rendre leur humanité aux hommes. Il restera un an avec elle avant de foutre le camp pour Ithaque, non sans passer par l'île de Calypso où il restera sept ans dans les bras et le lit de la nymphe (tandis que Pénélope attend son retour…). Ici, Madeline Miller change le cours de l'histoire. Circé transforme bien les hommes d'Ulysse en cochon mais elle ne le laisse pas entrer direct dans son lit encore moins sous la menace d'une arme. Mais le truc, c'est qu'on commence la partie "femme" de Circé après avoir vu celle de la sorcière. Or, la femme perd beaucoup par rapport à la sorcière. C'est à partir de là que j'ai eu non du mal, mais quelques déceptions. Parce que Circé se comporte finalement de manière attendue, je dirais. Il faut attendre le départ d'Ulysse pour la retrouver sorcière. A partir de là, l'autrice évoquera une maternité plutôt mal vécu pour finalement donner une mère des plus protectrices (mais bon, y a Athéna en face qui menace la vie du fils de Circé), puis on trouvera une autre figure de la femme, en la personne de Pénélope.
En fait, Circé, ce n'est pas juste la vie de la sorcière, c'est surtout une représentation des femmes en sa personne, celle de Scylla, Pasiphaé, de Médée et de Pénélope. C'est réellement en mettant les vies de ses femmes en parallèles que l'on retrouve l'aspect féministe du roman. Si l'on ne prend que notre amie Circé, on se rend vite compte des limites de celle-ci. C'est vraiment avec les autres femmes qu'elle va croiser, même Scylla d'ailleurs, que le portrait se fait. Parce qu'avant d'être juste l'histoire de Circé, le roman est celui des femmes de l'antiquité. Madeline Miller leur offre une place de choix et surtout permet enfin d'en faire autre chose que des personnages secondaires. Elles prennent le devant de la scène et le font chacune à leur manière. Franchement, c'est vraiment ça que j'ai aimé dans le roman. Toutes ont dû supporter les affres d'un destin commandé par les dieux et font en sorte de reprendre le cours de leur vie, d'en redevenir maitresse. Cette pluralité fait la force du roman.
Alors, pour finir, oui, j'ai apprécié ma lecture. Je l'ai trouvé intéressante, assez moderne aussi. Le style est clair, parfait pour ce genre d'épopée. L'histoire s'en tient beaucoup aux mythes, l'autrice ne s'autorisant que quelques libertés mais franchement, ce niveau, ce n'est pas bien grave. Je déplore juste que la partie Ulysse soit si longue et qu'elle casse une partie du discours que l'on a pu lire avant (juste avant Circé est tout de même violée, un passage qui n'est finalement qu'évoqué pour expliquer pourquoi elle transforme les hommes en cochon). Cela reste une lecture passionnante à classer, effectivement, du côté féministe de la bibliothèque. Enfin, maintenant, je suis curieuse de lire son Chant d'Achille qui met en avant Achille et Patrocle.
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