lundi 19 octobre 2020

Les Abysses, Rivers Solomon

J'entends pas mal parler de ce roman dans ma tweet list, un peu sur Instagram. C'est amusant, j'ai l'impression d'en avoir beaucoup entendu parlé et en même temps très peu. C'est une sortie assez confidentielle au final, et c'est bien dommage.

Les Abysses, Rivers Solomon

Editeur : Les Forges de Vulcain
Collection : 
Année de parution : 2020
Titre en VO : the Deep
Année de parution en VO : 2019
Nombre de pages : 178

A lire si :

A ne pas lire si :

Présentation de l'éditeur : 

Lors du commerce triangulaire, quand une femme tombait enceinte sur un vaisseau négrier, elle était jetée à l'eau. Mais en fait, toutes ces femmes ne sont pas mortes. Certaines ont survécu, se sont transformées en sirènes et ont oublié cette histoire traumatique. Un jour, l'une d'entre elles, Yetu, va leur rappeler.


Mon avis

Cela ne m'était pas arrivé depuis un moment. Je ne sais pas comment remplir le à lire\ à ne pas lire. C'est compliqué. Parce qu'il est compliqué, d'ailleurs, de résumer ce court roman, parce qu'il est dur, parce qu'il parle de pas mal de chose. Parce que je l'ai aimé et qu'il m'a pas mal marqué. Les Abysses, c'est le genre de roman qui ne vous laisse pas indifférent, et cela, je pense, que vous l'aimez ou non. Personnellement, il m'a parlé, beaucoup, il m'a ému, beaucoup aussi. 

Rivers Solomon est une personne noire non-binaire et il est important de le savoir avant de lire les Abysses. Important pour comprendre ce qu'iel a voulu mettre dans son roman (j'emploie iel pour parler de Rivers Solomon puisque le neutre existe en français. Il semble, d'après sa page wikipédia qu'iel accepterait le elle en français, je ne le fais pas, j'espère ne pas faire de connerie). Parce que les Abysses parlent d'esclavage, parce que les Wajinrus sont des êtres nés des femmes noires jetées des négriers parce qu'enceinte et peu rentable, parce qu'ils sont assez proche de la non binarité pour certains et des personnes intersexe pour beaucoup. Parce que le roman est profondément LGBTQI+ et aussi profondément ancré dans l'histoire des personnes racisées, plus particulièrement des descendants des esclaves. 

Les Wajinrus sont des sirènes. Iels sont nés des femmes esclaves enceintes que les négrier jetés à la mer car devenus non rentable. Nés dans la souffrance, iels ont préféré, petit à petit, oublier leur passé, le confier à une seule personne, l'Historien, et ne s'en souvenir qu'une fois par an, le jour du Don de Mémoire. Yetu est l'Historienne de sa génération. Fragile, elle ne supporte plus les souvenances qui l'assaillent régulièrement. Elle est la seule à connaitre la souffrance de son peuple, à se souvenir. Cela l'épuise. Alors, le jour du Don de Mémoires, elle fuit. Elle laisse son peuple se souvenir et elle fuit. Mais, elle va se blesser et atterrir dans un lagon où elle va être soigner par des deux-jambes, et plus particulièrement Oori, une jeune femme, dernière de sa tribu.

Comme je le disais, le roman parle de mémoire. C'est un des aspects qui m'a particulièrement marqué. Que serait un peuple sans sa mémoire ? Ou avec une mémoire défaillante, et mal "guidée"/'interprétée" ? Les Wajinrus, en attendant que Yetu leur face don de la mémoire collective de son peuple, se sentent vides. Ils se souviennent de très peu de chose, pas même leur propre vie. Or, ce vide ne peut pas être totalemen comblé en une journée. Malheureusement, en leur laissant les souvenirs sans les guider, Yetu crée une sorte de monstre. Les plus durs souvenirs reviennent et la haine des Wajinrus pour les deux-jambes, coupables de tellement de mal, risque de détruire les deux mondes. De son côté, Oori, seule survivante de son peuple, essaie tant bien que mal de garder leur mémoire vivante, de la protéger pour que l'on se souvienne de qui était son peuple. Elle va faire comprendre, d'une manière ou d'une autre, à Yetu, l'importance de la mémoire et de son partage. Or, on sait que pour beaucoup de minorité, la mémoire est particulièrement importante. On la vu récemment avec le déboulonnage des statues des négriers. On le voit aussi avec les archives LGBT qui devrait un jour existé (vaste sujet, que l'on peut retrouver ici sur Actualitté par exemple). La mort de la mémoire d'un peuple (ici au sens très large) amène petit à petit à la mort du dit peuple. Cela vaut encore plus pour les minorités. C'est ce thème-là qui ressort énormément des Abysses pour moi. Et c'est ce qui m'a particulièrement touché.

En commençant le roman, je pensais lire quelque chose de plus "terre à terre", l'histoire de ces femmes noyées. Or, je me suis trouvée devant bien plus que ça. C'est un récit terriblement poétique sur l'appartenance à un groupe et le besoin d'individualté que cela peut apporter. C'est un appel vibrant à l'envie de devenir soi sans oublier ce qu'on a été, que se soit en tant qu'individu mais aussi en tant que multitude. C'est une belle fable, qui ne se perd pas en mièvrerie, dure et nécessaire. 

Je ne sais pas si je peux dire que j'ai eu un coup de cœur pour les Abysses. Je crois qu'il faut d'abord que je le digère entièrement. Il a beau faire moins de 200 pages, il est assez dense finalement. En tout cas, il est sûr que ce n'est pas un roman qui laisse indifférent, et cela, que l'on soit concerné ou non (je suis blanche cis hétéro (loin de faire partie d'une minorité donc), et franchement, ce livre me parle énormément et encore mieux, me permet de m'interroger sur certains points). Je crois que le seul vrai bon conseil que j'aurais à vous donner sur les Abysses, clairement, c'est de le lire. 

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