lundi 20 mai 2019

Les Furtifs, Alain Damasio

Je crois que c'est le roman que j'attendais le plus cette année. En même temps, La Horde du Contrevent (le premier livre chroniqué ici, soyez indulgent), son dernier roman, est sorti en 2004. Oui, oui. Ca faisait un moment quand même, et même s'il y a eu des nouvelles (dont Aucun souvenir assez solide en 2012), il faut bien dire que j'attendais le nouveau roman avec impatience. Et le voilà. 

Les Furtifs, Alain Damasio

Editeur : La Volte
Collection : 
Année de parution :2019
Nombre de pages : 688

A lire si : 
- Vous aimez les livres un peu compliqué
- Vous aimez réfléchir tout en vous divertissant
- Vous avez aimé les deux romans précédents de l'auteur

A ne pas lire si : 
- Vous êtes ultra libéral

Présentation de l'éditeur : 

Ils sont là parmi nous, jamais où tu regardes, à circuler dans les angles morts de la vision humaine. On les appelle les furtifs. Des fantômes ? Plutôt l’exact inverse : des êtres de chair et de sons, à la vitalité hors norme, qui métabolisent dans leur trajet aussi bien pierre, déchet, animal ou plante pour alimenter leurs métamorphoses incessantes.
 Lorca Varèse, sociologue pour communes autogérées, et sa femme Sahar, proferrante dans la rue pour les enfants que l’éducation nationale, en faillite, a abandonnés, ont vu leur couple brisé par la disparition de leur fille unique de quatre ans, Tishka – volatilisée un matin, inexplicablement. Sahar ne parvient pas à faire son deuil alors que Lorca, convaincu que sa fille est partie avec les furtifs, intègre une unité clandestine de l’armée chargée de chasser ces animaux extraordinaires.
Là, il va découvrir que ceux-ci naissent d’une mélodie fondamentale, le frisson, et ne peuvent être vus sans être aussitôt pétrifiés. Peu à peu il apprendra à apprivoiser leur puissance de vie et, ainsi, à la faire sienne.

Mon avis

Je le disais, j'attends ce livre avec impatience, tout en essayant de ne pas savoir de quoi il allait parler. J'ai presque réussi mon coup, je n'ai vu sa quatrième de couverture que quelques jours avant de l'acheter. Autant dire que j'étais contente de moi. 

On va commencer par le livre. Il est beau, il est lourd (688 pages en grand format, c'est pas léger léger, on va se l'avouer) et surtout, il intègre de glyphes sur le coté de sa couverture histoire qu'on ne soit pas perdu niveau point de vue en lisant. Parce que, oui, à l'instar de la Horde, l'auteur nous entraîne à la suite de plusieurs personnages et pour se repérer, il utilise des signes de ponctuation différent à chaque fois. Niveau forme donc, je dois bien l'avouer, j'ai beaucoup pensé à la Horde. Déjà, le coup des gryphes pour les personnages mais aussi l'utilisation de la ponctuation dans le discours. Pas la ponctuation "normale", mais bien celle qui se rajoute, celle qui embellie le texte et qui parfois semble ne pas servir à grand chose. Et c'est bien là que ça pèche un peu pour moi. Si dans la Horde, la dite ponctuation avait bien une utilité, ce n'est pas toujours le cas ici. Du coup, ça peut alourdir la lecture pour pas grand chose. Alors, des fois, j'ai juste eu l'impression que Damasio se reposait un peu sur ses lauriers, qu'il avait pris le meilleur de la Horde (du point de vue typographique en tout cas) pour le transposer ici. Sauf que ça ne marche pas toujours.

Mais si parfois visuellement, le roman m'a donné un peu de mal, je dois bien dire que j'ai énormément accroché à l'histoire. Dans un futur peut-être pas si futur que ça, où les multinationales rachètent les villes à l'état, ou tout est question de contrôle, de marketing sauvage, d'espionnage et j'en passe, des hommes et des femmes s'élèvent contre la tyrannie des données. Contre tout cela, on trouve les furtifs, des êtres que l'on ne peut pas voir, qui se cache dans les angles morts, l'horreur pour la gouvernance et les entreprises. Pour les découvrir, nous suivons Lorca, quadragénaire ayant perdu sa fille et cherchant à la retrouver. Il est persuadé qu'elle est toujours en vie et que sa disparition a à voir avec les furtifs. On le découvre alors qu'il intègre une des meutes anti-furtif, composée d'Agüero, de Saskia et de Nér. Tous vont voir leurs visions changées suite à une chasse. Ils vont essayer de comprendre les furtifs tout en partant à la recherche de Tishka, la fille de Lorca.

Cette histoire qui semble finalement assez simple au premier abord et surtout un moyen génial pour l'auteur de faire passer ses idées. Des idées que le lecteur connait déjà un peu s'il y lu la Zone du Dehors (j'étais persuadée de l'avoir chroniqué ici et en fait, j'ai du le lire un peu avant de créer le blog, j'en ai jamais parlé là)(c'est ultra dommage, du coup) et la nouvelle Le Bruit des Bagues. On retrouve donc la critique de notre société de consommation qui nous pousse de plus en plus à être dépendant des produits, de la publicité et j'en passe.Une critique qui forcément fait écho avec notre époque, car bien que très exagéré, ce qu'il se passe dans les Furtifs n'est pas si loin que ça de la réalité. Du coup, pour contrer tout cela, la main-mise des entreprises sur le domaine public et privé, les violences des milices et celle de la gouvernance, certains ont créer des mouvements pour la liberté, comme la Traverse, qui crée des logements là où elle peut, les Celestes, qui font du ciel et des toits des lieux libres et j'en passe. Dans ces mouvements, on sent une sorte d'héritage de la ZAD de Notre-Dame des Landes (où Alain Damasio a passé quelques temps (d'ailleurs, pas encore lu, mais il me semble que la nouvelle Hyphe, retrouvable ici ou dans le livre dont elle est issue, à savoir Éloge des mauvaises herbes - Ce que nous devons à la ZAD) est un beau prémisse aux Furtifs où l'on retrouve l'aspect des villes vendues au multinationales), ils en sont les héritiers et ils comptent bien libérer les gens et l'espace. 

Il y a aussi le combat des parents pour retrouver leur fille. Alors, forcément, étant maman, je comprends tout à fait toutes ses parties-là. Elles s’intègrent parfaitement à l'histoire, à la critique de la société de consommation. Malheureusement, histoire de ne pas trop spoiler, je ne vais pas en dire beaucoup plus sur ses parties-là, qui permettent de lier le roman, de mieux comprendre les furtifs et leur enjeux dans le monde dépend par Damasio. Des enjeux qui vont aussi se présenter sous la forme de glyphes et de sons. On en revient alors à la Horde du Contrevent, où le son était tout aussi important (celui des vents). Ici, les sons sont très présents aussi et portent une bonne partie de l'histoire. Malheureusement, j'ai trouvé les Furtifs moins chantant que la Horde (et j'en reviens toujours à la Horde, vous voyez le problème de ce roman, du coup ? on ne cesse de le comparer à son prédécesseur).

Au final, j'ai trouvé que le roman était un condensé entre la forme de la Horde du Contrevent et du fond de la Zone du Dehors. Or, le problème est bien là. Malgré une histoire qui vaut le détour et qui reste somme toute originale, avec ses propres enjeux, on ne peut s'empêcher aux deux opus précédents de l'auteur. On finit presque par en oublier le côté polyphonique bien foutu où chaque personnage a vraiment sa propre voix (ses propres glyphes, sa façon de parler bien à lui, de penser aussi et j'en passe)(mais c'était déjà le cas dans la Horde, me direz-vous), la force de l'écriture (que se soit la typographie, les néologismes tellement bien intégré et j'en passe) et les divers niveaux de lectures. Les Furtits ne sera pas le chef d'oeuvre de Damasio (la Horde est passée par là) mais il reste un très très bon roman qui ne se laisse pas forcément appréhender du premier coup. A lire, et surtout à réfléchir.

Pour aller un peu plus loin : La première édition est livrée avec un code pour télécharger la musique du livre. J'ai le code, mais je n'ai fait qu'un survol de la musique, du coup, je n'en parlerai pas vraiment. C'est de la guitare sur laquelle l'auteur récite certains passages du livre. Sans l'avoir écouté, je trouve ça super sympa de pousser un peu plus l'expérience de lecture. Faudrait que je le fasse quand même.

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