jeudi 17 avril 2014

Aucun Souvenir assez Solide, Alain Damasio

J'avoue, j'ai pris le livre il y a moins d'une semaine à la librairie. J'avoue, je ne résiste pas à l'auteur depuis que j'ai lu la Horde du Contrevent. Je m'étais promis de ne pas lire mes livres les plus récents dans la PAL en premier. Je ne peux tenir ma promesse face à Damasio.

Aucun Souvenir assez Solide, Alain Damasio

Editeur : Folio
Collection : SF
Année de parution : 2014 (2012 à La Volte)
Nombre de pages : 390

A lire si :
- Vous aimez les nouvelles
- Vous aimez les auteurs qui jouent avec les mots
- Vous avez lu et aimé la Horde du Contrevent et la Zone du Dehors

A ne pas lire si :
- Le côté critique et contestataire de l'auteur vous gène
- Vous voulez un roman et non des nouvelles.

Présentation de l'éditeur :

Alain Damasio nous invite à la rencontre de grands « vivants », c'est-à-dire de grands claustrophobes, amoureux de l’air et de l’Ouvert. Champions de toutes les aérations, celles de l’espace, du son, des mots, du collectif, et de ce fait totalement libres, entrés en un jeu d’échos fou avec les mouvements du monde, ils tracent et suivent leurs lignes de fuite, tel le surfeur qui n’existe et ne consiste que dans la furtivité.

Mon avis

Comme je le disais, j'aime les romans d'Alain Damasio. La Horde a été un coup de coeur incroyable et même si j'ai eu plus de mal avec la Zone du Dehors, il n'en reste pas moins un de mes livres préférés. Par contre, je ne savais trop que penser des nouvelles de l'auteur. J'ai souvent lu qu'elles étaient assez indigestes, qu'il se penchait trop sur son amour des mots, des calembours et de la langue et pas assez sur les histoires elles-même. Je voulais me faire ma propre opinion et puis, il faut bien avouer que moi, j'aime le penchant qu'à l'auteur pour les mots et les calembours. 

A vrai dire, je ne suis pas déçue de ce recueil. Parce que j'y retrouve ce que j'ai aimé dans les romans de Damasio. Alors, oui, dans une nouvelle, l'histoire prend moins de place peut-être, l'univers est moins détaillé. Mais non, je n'ai pas trouvé qu'il finissait par oublier l'histoire pour nous offrir des bons mots. Par contre, oui, parfois, ça manque un peu de sentiment. Et puis, il faut s'habituer à l'esprit critique de l'auteur, à son côté "révolutionnaire", je pense que les nouvelles rien que pour cela ne peuvent plaire à tout le monde.

Bref, pour mieux comprendre ce recueil, voilà mon avis sur chacune des dix nouvelles qui le composent :

Les Hauts Parleurs : Cette première nouvelle nous embarque dans un monde où la mondialisation a pris son grand essor et où mêmes les mots ont été privatisés, ne laissant au peuple que quelques milles mots libre de droit. Nous découvrons alors le combat d'un homme pour acheter les droits du mot "Chat" mais aussi pour regagner sa liberté de penser, d'écrire et de parler comme il le veut. Sous l'uchronie se cache donc un vrai plaidoyer pour la liberté d'expression et contre les multinationales. C'est aussi l'occasion de voir à quel point l'auteur joue avec les mots, les sonorités, les sens, chose que si on a déjà lu la Horde ne nous surprend pas trop non plus, le personnage principal de l'histoire me faisant d'ailleurs pensé à Caracole durant le duel de mot se déroulant dans la horde.

Annah à travers la Harpe : Une nouvelle sur un thème que je qualifierais de "vaudou techno" ou encore de "d'Enfer dantesque numérique". Nous suivons un père dont la fillette est morte et qui part la ramener à la vie. Avec cette nouvelle, Alain Damasio critique la société de surconsommation de produit technologique, le fait que les hommes s'en remettent bien trop à elle. Le héros va plonger dans l'Enfer pour retrouver son enfant et découvrir que la technologie, loin d'être bonne, peut vraiment être très mauvaise pour les hommes. Sa fille surprotégée par la technologie (robe qui change de couleur si elle est trop existée, GPS) et dont les appareils type tablette et autres ont remplacé les doudous et jouets, trouvera tout de même la mort (renversée par une voiture malgré les airbags pour piétons dont elle disposait). Lui va découvrir que la technologie éloigne les humains les uns des autres, augmente la solitude... Il ferait d'étranges rencontres durant son périple qui lui feront comprendre les dangers d'un tel monde.
Il est toutefois dommage que la trame de la nouvelle et sa chute soit si conventionnelle. Il n'y a pas de surprise dans cette nouvelle. Elle n'en reste pas moins très bonne.

Le bruit des Bagues : Cette nouvelle m'a un peu rappelé la Zone du Dehors à cause des poches de resistances qui s'organisent. On n'y suit un vendeur marketing qui après être tombé amoureux d'une jeune femme va découvrir une autre façon de voir son monde. Voilà à nouveau une critique, cette fois sur le marketing profilé. Nous découvrons comment les hommes se profilent entre eux grace à des bagues regroupant toutes les informations possibles permettant de vendre certains produits. On peut un peu comparé ça à ce qu'il se passe sur le net depuis quelques années. C'est aussi une critique, une nouvelle fois, sur la mondialisation et le pouvoir des entreprises sur nous. Par exemple, les personnages portent les noms d'entreprises, permettant à celle-ci de se faire de la pub tranquille. Malheureusement, ici aussi, la fin est peut-être un peu trop conventionnelle.

C@ptch@ : Cette nouvelle est un inédit, exprès pour le recueil. Elle nous entraine dans un monde où enfants et parents sont séparés par une ville. Régulièrement, des enfants tentent de la franchir sans se faire dématérialiser. Une fois encore, l'auteur nous parle donc d'un monde ultratechnologique et critique tout cela, plus particulièrement les réseaux sociaux. Le texte est nerveux, partagé entre plusieurs personnages, ce que l'auteur sait faire avec brio. Sa fin est beaucoup moins conventionnelle que les deux précédentes, et elle apporte aussi beaucoup d'espoir dans ce monde là. Franchement, j'ai vraiment beaucoup aimé.

So phare away : Je crois que je tiens là mon coup de coeur parmi toutes les nouvelles du livre. So phare away nous entraine dans un monde où la mer est d'asphaltes et où les phares sont légions. Ils sont là afin de faire communiquer les hommes entre eux, d'apporter la lumière à ceux qui vivent dans les tours de bétons. Mais voilà, ça, c'était au tout début. Depuis, la ville a pris plus d'essor, a grandi et les phares surcommuniquent à tel point que l'on ne distingue plus vraiment les signaux. Dans ce méandres de lumières et de couleur, nous voyons apparaitre trois histoires, la première, celle de Farrago et Sofia, amoureux qui ne se voient que lors des grandes marées, la seconde est celle de Lamproie, plus observateur qu'autre chose nous permettant de découvrir les travers du monde, l'inégalité entre riches et pauvres qui se jouent dans cette ville et puis celle de Phareniente, qui nous explique le passé des phares et leur peut-être devenir. C'est vraiment un texte poignant, surtout grâce à l'amour de Farrago et Sofia et au message qu'il donne. Il est aussi plein de mélancolie, de sensibilité avec des personnages, même secondaires, plutôt forts. De plus, sa mise en forme est un grand atout, elle rappelle un peu la Horde du Contrevent, avec le nom des personnages devant leurs paroles mais aussi les discours de lumières qui le jalonne. Vraiment, pour moi, c'est un vrai coup de coeur.

Les hybres : Dans cette nouvelle, Damasio nous parle de la quête de l'artiste pour faire vivre son art. C'est une jolie métaphore qui commence doucement, assez classique en soi pour finir par aller vers le fantastique et la quête de soi. La "chasse" du personnage principal dépeint la manière dont l'artiste cherche son inspiration, se met à l'ouvrage. Tout est particulièrement bien trouvé, le texte, la "chasse", la conclusion. Sauf que... Sauf que je n'ai rien ressenti à la lecture du texte. C'est vraiment là le genre de texte qui met en avant le talent de Damasion mais qui montre aussi à quel point il peut se perdre dedans et en oublier de donner des émotions à son texte.

El Levir et le Livre : Restons dans le côté "artistique" avec cette fois-ci un scribe. El Levir est donc un scribe et il se lance dans l’œuvre de sa vie, écrire le Livre. Nous le suivrons donc durant cette écriture qui lui coutera la vie (je ne spoile pas, on le sait dès le départ). Si le début de la nouvelle est assez dur à comprendre, on se laisse pourtant facilement prendre dès qu'El Levir commence sa rédaction. Une rédaction qui va nous apprendre que parfois, le plus intéressant dans un livre n'est pas son contenu, mais sa forme. Du coup, je dois bien avouer qu'une fois encore j'ai pensé à la Horde et à sa forme si spéciale (les pages à rebours, les moments où l'auteur retranscrit le vent...). Je dois bien dire qu'ici, même si nous ne trouvons pas foule de sentiment, l'écriture d'Alain Damasio nous embarque vraiment et nous sert prodigieusement ce récit.

Sam va mieux : C'est une nouvelle assez étrange que celle-ci. Suite à une quelconque catastrophe, les hommes semblent avoir disparu. Nous voilà à suivre un homme et son enfant dans les décombres, à la recherche de survivant. Or l'homme est atteint de folie. L'auteur joue énormément là-dessus, nous offrant un texte durant lequel il joue avec la narration, perdant peut-être parfois le lecteur. Mais cela va tellement bien avec le personnage principal, nous permet tellement bien de faire face à sa solitude, de comprendre ce qu'il lui arrive. Le monde qu'il regarde nous parait encore plus vrai, jusqu'à ce qu'on se rende compte de certains détails, jusqu'à la fin. Une fin que l'on pense voir venir rapidement mais qui reserve tout de même des surprises.

Une stupéfiante salve d'escarbilles de houille écarlate : Voilà la seconde nouvelle inédite du recueil. Dès le début, on se dit qu'elle rappelle quelque chose, et ce n'est pas faux. Elle prend racine dans l'univers de la Horde du Contrevent avec d'abord le système de signe représentant le personnage qui parle, mais aussi avec la ville qui lui sert de décors, Alticcio. On y retrouve des termes déjà vu dans la Horde, le fleuvent, la Horde... Mais pas d’inquiétude, l'histoire est bien loin de celle de la Horde et sans l'avoir lu, on apprécie le texte et on ne se spoile pas. Mais revenons à la nouvelle en elle-même. Elle nous conte l'histoire d'Île, un aéromètre qui a reçu le mu de la part du dieu Barf. Cela va mettre en péril le couple d'Île et Aile, mais aussi lui-même au cours d'une course imposée par le Barf et qui tiendra quasiment toute la nouvelle. On retrouve l'amour du mouvement d'Alain Damasio, celui du changement aussi. Et bien que l'histoire soit des plus simples et assez linéaire, elle nous embarque vraiment dans son mouvement. C'est un texte philosophique et plein de poésie et de magie qui sera enchanté les lecteurs du recueil.

Aucun souvenir assez solide : la dernière nouvelle est aussi celle qui donne son nom à celui-ci. Elle est malheureusement la plus courte et celle dans laquelle on entre le moins bien. Nous suivons les souvenirs d'un homme de l'être aimée. C'est rapide et pourtant non dénué de sentiment. Mais c'est trop court, beaucoup trop. 

Le recueil fini par un postface nommé Portrait d'Alain Damasio en aérophone. Si celui-ci s'avère des plus interessant pour comprendre le recueil et surtout ce que celui-ci véhicule, il n'en reste pas moins assez indigeste. Je ne sais si c'est parce que je l'ai lu alors que mes paupières voulaient se fermer seule (il était tard) ou si vraiment vraiment, il est un peu trop compliqué à lire, mais j'ai eu beaucoup de mal à retenir la plupart des informations qu'il nous donne. Je le relirais surement dans quelques temps, lorsque j'aurais les idées bien plus claires.


Enfin, pour conclure, j'ai aimé le recueil quasiment dans son ensemble. Bien sur, comme souvent, des nouvelles m'ont moins plus, mais j'avoue qu'elles sont très peu nombreuses. J'ai vraiment retrouvé ce que j'aime, moi, dans les textes d'Alain Damasio. Pourtant, je ne saurais le conseiller à quelqu'un qui n'a jamais lu l'un de ses romans. Je pense qu'il faut au moins avoir lu la Horde ou la Zone du Dehors pour comprendre une bonne partie des textes qu'offre Aucun Souvenir assez Solide.


Je parle aussi du recueil et de deux nouvelles en particulier ici et ici

1 commentaire:

  1. En ce moment j'aime beaucoup lire des recueils de nouvelles, et comme j'aime aussi Damasio, je pense me le procurer assez rapidement. Merci pour ta chronique qui me conforte dans cette idée.

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